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MOTIS Jessica Attene
 

Celle de Motis, alias Emmanuel Tissot, est une carrière musicale très respectée, ponctuée par neuf albums studio et de nombreux spectacles. A l'occasion du nouveau concept "Josquin Messonier" nous avons la possibilité d'avoir une conversation avec lui, en espérant que nos lecteurs, surtout ceux qui aiment le prog français, se sentent encouragés à mieux le connaître. Mais je ne veux pas trop anticiper, il vaut mieux laisser la place à l'entrevue.

Tout d'abord, peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisi ce nom étrange? Je suppose qu’il a quelque chose à voir avec ton vrai nom.

Oui, Motis est une sorte d'anagramme de mon nom et de mon prénom : Emmanuel Tissot. Au départ c'était un projet solo, j'ai essayé de trouver un nom de projet qui soit court et facilement mémorisable, à la différence de mes anciens groupes qui avaient toujours des noms à rallonge et impossibles à retenir !

Au début de ta carrière tu as joué dans plusieurs groupes avec des styles différents. Qu'est-ce-qui t’a poussé à commencer ta carrière solo avec l'album "A chacun son Graal" (2000)?


Après diverses expériences dans différents groupes allant du rock au jazz en passant par la chanson, j'ai eu envie de développer mon propre univers artistique et musical, d'écrire mes compositions et d'aller exactement là où j'avais envie d'aller, sans entrave.

Lesquelles de ces expériences passées ont été les plus importantes pour toi ? Ont-elles influencé de quelque façon que ce soit ta musique?


Chaque expérience a été intéressante, on apprend toujours en allant au contact des autres. Le fait d'aborder des styles de musique différents dans tous ces groupes m'a permis d'avoir une approche globale et métissée de la musique, et puis cela a été très formateur aussi au niveau humain, car jouer dans un groupe c'est bien sûr faire de la musique, mais c'est aussi avant tout vivre une aventure humaine !

Dès ton premier album une passion pour la musique ancienne et médiévale a été évidente, quelle est ton approche : simple inspiration, contamination, ou y a-t-il eu une étude plus approfondie ?


La musique ancienne et médiévale a été une source d'inspiration pour moi dès le début du projet Motis, je m'en suis servi comme point d'appui pour créer mon univers musical, avec la volonté de mélanger tradition et modernité. Ce qui me plaît avant tout, c'est la figure du troubadour, du ménestrel, ce musicien-conteur-chanteur-saltimbanque qui va de ville en ville, de village en village, pour chanter ses petites histoires en allant à la rencontre des autres. C'est un peu ce que nous sommes dans Motis, des ménestrels, mais d'aujourd'hui ! « Ménestrels » est d'ailleurs le titre que nous avons choisi pour notre album vinyle qui sortira cet été sur le label MUSEA et qui sera une compilation des titres les plus représentatifs des différentes périodes du groupe depuis sa création il y a 15 ans.

Quels sont les groupes de folk français traditionnels et progressifs auprès desquels tu te sens le plus débiteur?


Malicorne pour le versant folk, et Ange et Atoll pour le versant progressif.

En 2001, avec l'album "La Fête des Fous", la coopération avec le batteur Rémy Diaz a commencé, interrompue avec "Ripaille" (2011). Comment vous êtes-vous connus et pourquoi Rémy a quitté l'aventure ?


Rémy était à l'époque au début des années 2000 un batteur très actif dans ma région, il jouait dans plusieurs groupes et projets. J'ai composé et enregistré « A chacun son Graal » en 2000 tout seul, et comme les gens qui ont entendu cet album en ont réclamé une version scénique, j'ai fait appel à Rémy pour me rejoindre et travailler avec lui, et nous avons ensuite enregistré ensemble « La fête des fous », puis nous sommes partis porter notre musique dans les salles de concerts et les festivals. Rémy a quitté le groupe en 2011 après que nous ayons joué presque 10 ans ensemble, nous avons vécu de très bons moments, puis chacun a fait son chemin de son côté. Rémy joue maintenant avec d'autres musiciens, et à partir de « Ripaille » j'ai commencé à travailler avec le batteur-percussionniste Tony Carvalho qui est une de mes vieilles connaissances, avec Tony on se connaît depuis l'âge de mes 16 ans.

Josquin Messonnier est un personnage fictif, a-t-il quelques chose à voir avec toi, d'une certaine façon, ou avec quelqu'un que tu connais?


Josquin Messonnier est un personnage fictif, qui m'a été inspiré par mes expériences dans la vie, j'ai puisé dans mes souvenirs d'enfance et d'adolescence pour créer ce personnage. J'avais besoin peut-être de parler un peu de tout ce que j'ai ressenti à cette période, car avec le recul je trouve que ces moments d'enfance-adolescence sont des moments précieux et très importants pour la construction de sa vie d'adulte.

Sa vie est poétique et très simple, penses-tu que les musiciens doivent être des esprits libres comme lui ?


La poésie et la simplicité : deux mots qui me conviennent tout à fait, si c'est ce que tu as ressenti à l'écoute du disque, alors je suis content, car c'est ce que j'ai essayé de faire passer dans l'écriture. L'art en général doit être libre ! Absolument ! Composer, écrire, créer, c'est partir dans sa bulle, sur son île, en toute liberté !

Dans ta carrière, tu as participé à de nombreux festivals, dont le Festival Interceltique de Lorient, le festival du Printemps de Bourges ou, plus récemment, Crescendo. Quelles ont été les expériences et les souvenirs les plus importants ?


Les festivals que tu as cités (Lorient, Bourges, Crescendo) sont vraiment des super souvenirs ! D'ailleurs cette année nous retournons jouer au festival Crescendo qui est unique en son genre, totalement voué à la cause du rock progressif, dans un cadre naturel exceptionnel: la scène est face à l'océan, quand tu joues sur cette scène, tu te sens porté, en harmonie avec les éléments naturels, c'est magnifique à vivre, et le public est très réceptif. Le Festival Interceltique de Lorient c'était aussi excellent, nous l'avons fait deux années de suite, et à chaque fois nous partions pour une dizaine de jours, on jouait tous les soirs, nous étions en immersion avec le public breton qu'on adore ! A côté de ces souvenirs de grands festivals, il y a plein de très bons, drôles, parfois étranges et singuliers souvenirs de concerts dans des endroits plus modestes, mais dans lesquels on a vécu des anecdotes de tournées tout aussi mémorables ! Ce qui est bon à chaque fois qu'on repart sur la route des concerts, c'est de partir à l'aventure, d'aller à la rencontre du public, des gens, des régions que nous rencontrons.

Je pense que votre nouvel album est parmi les meilleurs. Je le trouve inspiré, équilibré, très symphonique. Est-ce que tu es d'accord ?


Merci pour tes compliments et ton analyse de cet album. Je rejoins ton avis quant à sa place dans notre discographie. En général on est toujours content de sa dernière création, on la trouve meilleure que les précédentes, et c'est tant mieux, c'est ce qui nous donne envie à chaque fois de faire un nouvel album, une nouvelle création, d'aller encore plus loin. Effectivement « Josquin Messonnier » est un album plus symphonique que les précédents, je crois que cela est dû à l'utilisation généreuse des claviers vintage qui était une volonté de ma part, et la prédominance du Mellotron apporte forcément une touche symphonique car cet instrument à bandes analogiques retranscrit les sons de l'orchestre classique : violons, violoncelle, flûtes, cuivres, chœurs vocaux... Et puis sur cet album j'ai eu envie de me « lâcher » en termes d'arrangements, en créant de multiples couches sonores. L'arrivée de Martial Baudoin dans notre groupe a permis de développer un son encore plus étoffé que par le passé, Martial a utilisé sur l'album des basses différentes (5 cordes, fretless, basse-piano...) pour enrichir notre son originel, nous avons ajouté des chœurs à 3 voix, Tony ne s'est pas cantonné à la batterie et s'est exprimé aussi au vibraphone... Ces différents apports ont permis de créer ce son que tu appelles « symphonique », et cela pour rejoindre le propos des textes de ce concept-album : l'enfance et l'adolescence sont des temps très forts, un peu comme une symphonie.

Nous trouvons certains choix instrumentaux récents tels que le passage du bouzouki acoustique à l’électrique ou l'utilisation de nouveaux claviers comme un nouvel orgue Hammond avec Leslie, ou le Mellotron M400. Crois-tu que ces choix ont été importants pour redéfinir le son au cours des deux derniers albums ?


Ce choix d'instruments correspond à mes goûts artistiques, il m'a fallu plusieurs années avant de parvenir à rassembler ces instruments venus des 70's, il a fallu les trouver, les remettre en état, et apprendre à m'en servir correctement pour les enregistrements, les apprivoiser, les dompter (le Mellotron à bandes par exemple est un instrument très capricieux!!!). En tout cas depuis quelques années j'ai décidé d'assumer mes influences « proto-prog » (King Crimson, Genesis, Yes), car je me suis dit que ça ne servait à rien d'essayer de les renier pour sonner actuel, au contraire ! On peut très bien sonner très actuel en s'inspirant des maîtres du passé, sans pour autant les copier. Je considère que pour être authentique et sincère, le mieux est de faire ce qu'on aime vraiment, sans vouloir être moderne ou à la mode à tout prix.

En 2004, tu as partagé la scène avec Ange lors de la tournée «Par les Fils de Mandrin revisitée». Peux-tu nous parler de cette expérience? C’est comment Ange en live?


Oui, très bon souvenir là encore, d'ailleurs nous en avons fait un album live « La dame et le dragon ». Ange est mon influence majeure, tant pour les textes que pour la musique, en plus c'est un groupe franc-comtois, comme nous. Cela a été un immense plaisir de partager la scène avec ce groupe mythique ! Nous renouvellerons l'expérience cet été, puisque nous serons avec eux à l'affiche du festival « Rock au Château » le 8 août dans le parc du château de Villersexel. Ange en live aujourd'hui c'est toujours le navire angélique mené de main de maître par son leader charismatique Christian Décamps, désormais accompagné de son fils Tristan aux claviers, et d'une équipe de jeunes musiciens très talentueux. Cette année ils proposent un spectacle qui reprend le concept « Emile Jacotey », on a hâte de voir et d'entendre ça cet été !

Tu as l'habitude de faire presque tout toi-même. Comment fais-tu pour gérer la situation en live ?


En live on simplifie ce qui a été fait sur album, il y a évidemment moins de parties de claviers, on revient à l'essentiel, au cœur de la composition et des chansons, et la plupart du temps on se rend finalement compte que c'est encore plus énergique et évident que sur album. On en revient à cette notion de simplicité évoquée en début d'interview. Ce qui est le plus simple, le plus épuré, c'est toujours ce qui sonne le mieux.

Comment est arrivé le contact avec le label Musea, collaboration qui continue à ce jour ?


J'ai démarché MUSEA dès les premiers albums auto-produits, car ce label produisait tous les groupes que j'adorais. Au début ma musique ne les intéressait pas, c'était trop folk à leur goût. Puis nous avons pris une couleur plus prog à partir de « Prince des hauteurs », et cet album a séduit Bernard Gueffier le label-manager de MUSEA, et depuis cette époque, tous nos albums sortent sur ce label. C'est une collaboration qui dure car sa philosophie en faveur de la défense du rock progressif nous correspond bien, c'est une musique que nous aimons et que nous produisons, et MUSEA en assure très bien la distribution à travers le monde, donc ça fonctionne !

Ton public est surtout prog ou as-tu plus d'adeptes dans les champs du folk ? Quel type de personnes s’intéresse à votre musique?


Il y a deux types de public : celui qui nous connaît par les disques grâce à la distribution discographique assurée par MUSEA, ce public est donc un public de passionnés de rock progressif ; et puis il y a celui qu'on rencontre en concert au gré de nos déplacements, et là ça varie complètement. Comme nos créations sont avant tout des chansons, avec des textes qui racontent des histoires à écouter, les gens intéressés par ces histoires n'ont pas forcément d'étiquette ou de style musical en tête, ils se laissent porter par ce qu'on raconte sur scène, notre musique, et si ça les touche, tant mieux, c'est que la rencontre est réussie ! On ne se cantonne pas une étiquette artistique : folk, prog... On fait de la chanson, de la musique, c'est tout !

En 2012 un bassiste se joint et votre groupe devient un trio, pourquoi ce choix ?


Parce que Martial est un excellent bassiste et musicien et qu'il a accepté de nous rejoindre suite à notre sollicitation. Il apporte son son et sa personnalité au projet, depuis qu'il est là, on est vraiment bien tous les trois ! On a eu une période en duo avec Tony, et je jouais les basses aux pieds sur un pédalier type Taurus, c'était très contraignant pour moi, cela m'obligeait à jouer assis, on a voulu avec Tony proposer au public une formule scénique enrichie, moins statique, plus dynamique, encore plus vivante. Aujourd'hui nous sommes trois sur scène, on peut vraiment s'exprimer davantage, il y a une super cohérence et complicité dans le basse-batterie entre Tony et Martial, et moi ça me booste complètement pour le live !

Y a-t-il une chanson particulière que tu préfères dans ton répertoire et pourquoi ?


Cela dépend des périodes et des humeurs. C'est difficile de prendre du recul sur sa propre production et de juger soi-même ce qu'on a créé, c'est au public de faire ça. En ce moment précis ma préférence est pour notre titre inédit « L'aube » qui paraîtra prochainement sur la compilation vinyle 33 tours « Ménestrels », c'est une nouvelle chanson dont la base a été écrite lors d'une mini-tournée en Ardèche, dans un lien bucolique où nous nous sommes posés quelques jours, on est partis d'un truc complètement acoustique joué dans la nature, c'était un beau moment de création. Et puis c'est une nouveauté, et aller toujours de l'avant, c'est ce qui me porte !

Ta carrière musicale est certainement très riche. As-tu encore des rêves à accomplir ?


Un de mes vieux rêves de musicien, c'était de sortir un disque au format vinyle 33 tours, et c'est justement ce sur quoi nous travaillons actuellement, donc je suis comblé de ce côté-là !
Un autre rêve de musicien, c'est de jouer à l'étranger ! En dehors de la France, nous avons déjà joué en Suisse et en Belgique. Et pourquoi pas un jour prochain en Italie ? Cela nous plairait beaucoup, et puis nous sommes presque voisins (le Jura ce n'est pas très loin de l'Italie) ! Comme Arlequins est un webzine italien, vous pouvez peut-être faire passer le message si vous connaissez des organisateurs de concerts de rock prog ;-) ! Pour le reste, évidemment qu'il me reste encore des rêves à accomplir, mais permets-moi de garder cela pour mon petit jardin secret !



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